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Repenser la Défense belge : transformation, résilience et partenariats stratégiques

Entretien avec le Lieutenant-Général (e.r.) Marc Thys

Propos Recueillis par Ophelie Martin, Serco

Photos : © Belgian Defence

Alors que le paysage sécuritaire européen se transforme profondément, la Belgique – comme d’autres États membres de l’Union européenne – se retrouve à la croisée des chemins. Entre rupture stratégique, défis structurels internes et nécessaire ouverture à des partenariats publics-privés, la Défense belge est engagée dans une transformation d’envergure. Le Général Marc Thys, ancien chef d’état-major adjoint, livre son analyse sans détour.

Un monde où le langage du pouvoir et de la force a repris ses droits

« Nous ne sommes pas en train d’entrer dans une nouvelle ère stratégique : nous y sommes déjà. » Pour Marc Thys, la rupture dans l’ordre mondial n’est plus une perspective, mais une réalité bien installée. Depuis plusieurs années, les États-Unis appellent l’Europe à prendre en main sa propre sécurité. « Aujourd’hui, cette demande est plus pressante que jamais – et le temps de la prise de conscience est révolu. »

Selon lui, le monde est redevenu profondément transactionnel. Les grandes puissances – Chine, Russie, Inde, mais aussi les États-Unis – agissent selon leurs intérêts propres. « Dans ce contexte, l’Europe doit apprendre à parler le langage du pouvoir et de la force. » Un langage que l’Europe occidentale, et la Belgique en particulier, ont trop longtemps négligé.

Une souveraineté à reconstruire collectivement

Face à ce constat, le Général Thys insiste sur l’importance du multilatéralisme. « La Belgique ne peut pas, ne doit pas rester seule. Notre sécurité dépend d’une coopération renforcée entre États partageant les mêmes valeurs : respect de l’état de droit, vision multilatérale, volonté d’agir. »

Dans cette logique, l’Union européenne devient un cadre stratégique, mais pas une armée en soi. « La défense européenne ne se fera pas par l’intégration institutionnelle, mais par des coalitions d’États prêts à agir ensemble, autour d’intérêts communs. » Il évoque un "directoire" composé de pays moteurs comme la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni, la Pologne ou l’Italie.

La Belgique à la croisée des chemins

Pour la Belgique, les défis sont nombreux – et d’autant plus pressants qu’un retard important s’est accumulé. « Nous avons tout à reconstruire : les effectifs, les infrastructures, les équipements, la doctrine… Tout. »

Longtemps considérée comme un "petit pays", la Belgique souffre, selon lui, d’un complexe d’infériorité. « Mais en réalité, nous sommes 7e en PIB dans l’Union européenne et 12e au sein de l’OTAN. Nous avons les QG internationaux sur notre territoire, un poids diplomatique certain. Il est temps de se comporter en conséquence. »

La question du financement reste néanmoins un point de tension majeur. « Le fédéral n’a pas les moyens de ses ambitions. Si l’on veut atteindre 3 % du PIB pour la défense, soit 18 milliards d’euros, il faudra repenser la répartition budgétaire et l’architecture de l’État. »

Reconstruire les effectifs : un enjeu stratégique majeur

Autre priorité absolue : la reconstitution des effectifs. Les besoins opérationnels s’intensifient, et la capacité de formation devient aujourd’hui le principal facteur de blocage. « Le problème n’est pas de trouver des candidats – ils sont là – mais de pouvoir les former correctement, puis de les équiper. »

Le général Thys souligne que cette année 2 800 militaires actifs, 1000 réservistes et quelques centaines de civils seront recrutés, soit presque dix fois plus qu’en 2015. Cette montée en puissance nécessite une infrastructure adaptée, aujourd’hui insuffisante. « Il faudra rouvrir ou même reconstruire des casernes, retrouver de l’espace, et élargir notre capacité d’accueil. » Une forme de service volontaire va être relancée, dans l’espoir de recréer une dynamique collective autour de la Défense.

Le rôle stratégique des partenaires privés

Dans ce contexte de transformation rapide, les partenaires privés ont un rôle essentiel à jouer. « Les militaires doivent se concentrer sur leur cœur de mission : l’instruction, la préparation et la disponibilité opérationnelle. Tout ce qui relève du soutien – une partie de certaines formation, la logistique non-opérationnelle, entretien, infrastructures – peut être pris en charge par des acteurs externes, à condition qu’ils soient fiables et bien intégrés. »

Serco, partenaire de longue date de la Défense belge, illustre cette complémentarité. L’enjeu est clair : déléguer certains services de soutien tout en assurant l’alignement stratégique, la sécurité et la souveraineté de l’institution. « Cela repose avant tout sur une relation de confiance, sur la qualité de la prestation, et sur une logique d’engagement à long terme. Ce type de partenariat ne se construit pas sur deux ou trois ans : il faut des horizons de cinq, six, voire dix ans. »

Il ne s’agit en aucun cas de privatiser la Défense, insiste-t-il. « L’État reste pleinement souverain et maître à bord. Mais les partenaires privés peuvent professionnaliser les fonctions de soutien, soulager les unités opérationnelles, et créer des emplois dans les territoires où se trouvent les bases militaires. »

L’armée de demain : robuste, agile, connectée

À quoi ressemblera l’armée belge dans 10 à 15 ans ? Pour Marc Thys, la transformation engagée est profonde. L’innovation technologique, notamment l’usage des drones, de la robotique, de la numérisation et de l’intelligence artificielle, jouera un rôle central dans la configuration des capacités futures. Mais au-delà de la technologie, c’est une nouvelle philosophie capacitaire qui s’impose : celle d’une force militaire résiliente, modulaire, pensée pour des engagements de haute intensité sur le continent européen.

Il s’agit aussi de tirer les enseignements des conflits actuels. « Il faut anticiper une guerre d’attrition, penser en masse, revoir nos approches industrielles. Peut-être fabriquer localement, imprimer en 3D sur site, réduire les coûts sans compromettre l’efficacité. »

Message aux décideurs : "Agissez – ou d’autres le feront pour vous"

Le mot de la fin est sans équivoque : « Si nous ne prenons pas notre avenir en main, d’autres le feront pour nous. Et dans ce cas, nous ne serons pas à la table – nous serons au menu. »

Et à la jeunesse ? « Quelle que soit votre formation, votre profil, il y a une place pour vous à la Défense. Et si un métier ne vous convient pas, il y en a des centaines d’autres à explorer. »